les porte, sublime et comme tombée du ciel, je m’étonne de
la profonde émotion qui me prend quelque part entre les
tripes et le coeur.
Je ferme les yeux et, dans mon silence intérieur, j’interdis
à quiconque l’entrée de ma bulle de bonheur, sans doute
parce que je ressens comme une infirmité mon impuissance
à la faire partager autour de moi.
Ces mots pourtant ne sont pas écrits dans ma langue, et,
d’une certaine manière, je ne suis pas supposé les
comprendre. En trente ans d’admiration pour Lluís Llach, j’ai
heureusement eu l’occasion de travailler un tout petit peu
« mon » catalan, intuitivement souvent, parfois en consultant
un dictionnaire en ligne et aussi parce que d’autres
passionnés ont fait le même chemin que moi, dans leur bulle
à eux. Dans les éditions vinyl du Chant du Monde, il y avait
aussi de remarquables traductions littérales des chansons
de Lluís. Et puis, ça devait bien un jour servir à quelque
chose d’avoir fait du latin(…)
Alors que Franco pètait encore de santé, de morgue et de
haine dans cette Espagne scandaleuse qui garrotait des
jeunes de mon âge, syndicalistes ou étudiants, anarchistes
ou pas, j’ai découvert Lluís Llach à travers ses chansons
mythiques de combat dont « L’Estaca », l’oratorio
« Campanades A Morts » ou l’ironique « La Gallineta ».
Après, j’ai progressivement pris la mesure de l’oeuvre du
poète et du compositeur à travers de pures merveilles
comme « Un nuvol blanc », déjà cité, « Com un arbre nu »,
au dépouillement quasi métaphysique, ou cette oeuvre
majeure qu’est « Viatge a Itaca », adaptée d’un poème de
Kavafis. J’ai suivi Lluís à travers les années, non comme un
chien suit son maître car je récuse l’étiquette de « fan, mais
comme on cherche, engourdi par l’hiver, la chaleur du soleil
qui nous fait renaître, encore et toujours, à la vie.
Cette musique, cette poésie, cette voix, j’en ai besoin à
intervalles réguliers pour survivre au monde qui m’entoure,
comme on a besoin d’un coeur qui bat, de pain, de vin et de
l’amour de ceux qui comptent pour nous.
Guy