Il est des chansons que j’aime à entendre et ré-entendre.
Certaines parce que leur ton gai me met en joie, d’autres
parce qu’elles me font dresser les poils sur les bras en me
nouant le ventre d’émotion grave, d’autres encore parce que
leurs paroles m’ouvrent l’esprit et m’emportent avec elles.
La chanson Ítaca, de Lluis Llach, fait partie de ces dernières.
Fruit de la collaboration entre Lluis Lach et Carles Riba, elle
met en musique et en langue catalane un poème du poète
grec, né à Alexandrie, Konstantinos Kavafis. Dès les premiers
accords de musique, je ferme souvent les yeux, me
préparant à accueillir ces mots tant et tant entendus, tant et
tant répétés :
Quand tu entreprendras le voyage vers Ithaque,
tu dois souhaiter que le chemin soit long,
plein d’aventures, plein de choses à connaître.
Lorsque j’ai écouté pour la première fois cette chanson, je ne
parlais pas un mot de catalan, et le disque 33 tours ne
comportait pas de livret qui m’aurait permis d’essayer
d’entrevoir plus facilement de quoi il s’agissait. Mais, entre
ma connaissance de l’espagnol, mes souvenirs de latin et
mon goût pour les langues latines en général, je devinais,
en phonétique et en tâtonnements, qu’il était question d’un
voyage, d’Ithaque, de parages inconnus. Et lorsqu’enfin, j’ai
pu avoir sous les yeux le texte de cette chanson, j’ai compris
que… je n’avais pas trop mal compris.
Et ces vers m’ont encore plus touché, car ils disaient, bien
mieux que ce que j’aurais pu dire, ce que je ressentais
souvent : dans notre voyage qu’est la vie, peu importe la
nature de notre destination, de notre Ithaque. La richesse
naît de l’inattendu, de la curiosité, de la découverte. Bien sûr,
Ithaque est notre but, et l’envie d’y arriver est notre moteur.
Mais il ne faut pas écourter le voyage, car c’est lui qui nous
enrichit.
De mon côté, j’en reste à chanter ce poème dans la langue
où je l’ai découvert, le catalan. Non par fermeture d’esprit au
grec, non pas refus de la version française, mais parce que
j’aime la façon dont ces mots roulent en catalan sur cette
musique qui m’invite au voyage. Permettez-moi, toutefois,
d’en préférer les interprétations intimistes, juste voix et
piano par exemple, à d’autres interprétations plus
orchestrées qui me donnent l’impression que le message se
dilue dans trop de notes.
Tingues sempre al cor la idea d’Itaca.
Has d’arribar-hi, és el teu destí,
però no forcis gens la travessia.
És preferible que duri molts anys,
que siguis vell quan fondegis l’illa,
ric de tot el que hauràs guanyat fent el camí,
sense esperar que et doni més riqueses.
Garde toujours au coeur l’idée d’Ithaque.
Tu dois l’atteindre, c’est ton destin,
mais ne force pas la traversée.
Mieux vaut qu’elle dure longtemps
et que tu sois vieux quand tu jetteras l’ancre,
riche de tout ce que tu auras amassé en chemin
sans en attendre plus de richesses encore.
Monsieur de C.